Transcription: assia elaouamRelecteur: eric vautier (Applaudissements) Alors, figurez-vous, qu’aujourd’hui, je vais vous parler des blaireaux. je pense que c’est un sujet quivous touche personnellement parce que vous connaissez tous, dans votre entourage, un, voire plusieurs blaireaux. (Rires) Alors, le blaireau est un animal nocturne. Son poil est blanc, et gris clair, avec des petites pointesplus foncées par endroits, On l’appelle aussi le blaireau européen- il porte bien son nom. Mais le blaireau est un animalqui m’intéresse particulièrement parce qu’il ne change pas de terrier. Et même si on le déloge de son premier terrier, il ne va pas partir à des dizaines, descentaines de kilomètres en faire un autre, non, il va aller à quelques mètresdu premier, pour en creuser un nouveau. Et moi, ça, ça me parle, parce que, professionnellement parlant, je suis un blaireau, un vrai de vrai. Je n’ai jamais quitté ma terre natale : l’Auvergne, le Puy de Dôme, Clermont-Ferrand. Je n’ai jamais quitté ces terrespour monter à Paris. (Applaudissements) Ce n’est pas fini encore. Je suis écrivain. Mon métier consiste, la moitié du temps, à raconter des histoires, à inventer des histories, à en écrire, et l’autre moitié du temps, à répondre à cette question agaçante, que beaucoup de gens posent. Et cette question, c’est : « Mais c’est quoi,votre vrai métier dans la vie ? » Eh bien, c’est d’écrire des livres, et il se trouve que, pour moi,depuis quelques temps, ça marche bien et c’est génial. C’est génial de se lever le matinet de faire ce qu’on aime faire. Mais néanmoins, il y a une autre question, bien plus agaçante que la première, et bien plus cruelle aussi, et c’est de çadont je vais parler aujourd’hui, et cette question c’est : « Avec tout ce quivous arrive actuellement, pourquoi vous n’êtes pas alléehabiter à Paris ? » C’est étrange, ça veut dire qu’il faudraitpartir pour réussir. Pire encore, il faudrait aller habiter ailleurs pour prouver qu’on a réussi. Déjà, la réussite, ce n’est pas un conceptgénéral, clair, objectif. La réussite, c’est un sentiment personnel, c’est une sensation individuelle, c’est comme votre sexualité,ça ne regarde que vous, surtout si vous êtes célibataire. (Rires) La réussite ne peut pas être énoncée de façon claire et générale, tout comme on ne peut pas énoncer,de façon claire et générale, la valeur d’une œuvre ou d’une création. Et c’est d’ailleurs dans la créationlittéraire classique française, que s’étend ce mythe du transfert de la province à la capitale. Chez Balzac, chez Zola, chez Maupassant,Flaubert, Stendhal, c’est : « Paris, à nous deux ! » Il faut monter pour réussir,il faut y aller, parce que, dans la littérature française, la campagne, et les petites villes de campagne, c’est salissant. Faire de l’argent dans l’agriculture,c’est beaucoup moins noble que faire de l’argent dans l’art, dans la politique ou dans l’économie. Mais il y a autre chosedans cette question, et c’est beaucoupplus gênant que le reste. C’est que tous les gens qui me l’ont posée, cette question, ce n’étaient jamais des Parisiens. Alors parenthèse : un vrai Parisien,ça n’existe pas, un Parisien de souche. Un Parisien aujourd’hui,c’est un provincial qui accepte de payer 8 euros pour boire une bière, on est d’accord, OK ! Donc ce ne sont pas des Parisiensqui m’ont posé cette question, ce sont des Clermontois, ce sont des gens d’ici. Et, quand ils me posent cette question,j’ai l’impression qu’ils sont déçus, que je les ai déçus. Alors, moi, je me demande : mais, quel est le problème avec nos villes,et nos petites villes ? En y réfléchissant bien, je pense que le lien qu’on entretient avec son lieu de naissance, et son lieu de vie quand on n’a pas pu partir, c’est le même lien qu’on entretientavec ses parents à l’adolescence. On les aime bien, mais ils nous foutent un peu la honte quand même. Vous vous souvenez de ces soirées,quand vos parents venaient vous chercher ? Un moment gênant, et compliqué, pour tout le monde d’ailleurs. Et là, c’est pareil. Et en d’autres termes, ça voudrait dire que la campagne, que les petites villes de campagne, que ce qu’on appelletrès vulgairement la Province, ne serait pas digne du talentde ceux qui y sont nés. Je trouve que c’est une idéeextrêmement répandue, et très triste. Je ne crois pas que l’herbe soit plus verte ailleurs, surtout quand on habite en Auvergne. Je crois surtout qu’on est en train d’assister à un syndrome Instagram, qui est le résultat contemporain de ce qui était déjà présent dans la littérature classique. Le syndrome Instagram, ça veut direqu’on a tous des filtres dans la tête, qui s’allument dés qu’on mentionne Paris, dés qu’on parle de la capitale. Des filtres sur les images qui nous viennent, des lieux qu’on pourrait visiter, des cafés où on pourrait s’asseoir, des gens qu’on pourrait découvrir, des filtres sur le rêvede cette fabuleuse soirée où on rencontrerait la personnequi va changer notre vie, dans le milieu parisien. Ce milieu, moi, je ne sais même pass’il a existé. Je ne sais même pas s’il existeactuellement, ce milieu, parce que j’ai préférérester sur les bords, tranquillement. Pourquoi, chers Clermontois, devriez-vous partir pour réussir ? Pourquoi devriez-vous fatalementsuccomber au fantasme du grand départ ? Après tout , si on a atteint ce point de réussiteà partir duquel on peut faire uniquement ce qu’on veut, il me semble aussi qu’on peut le faire d’où on veut. Dans cette question, il y a quand même cette idéeque Paris serait à la fois la cause et la conséquence de la réussite. Et c’est un peu absurde, un petit peu quand même. C’est un peu absurde parce que, aujourd’hui, on peut écrire un livre de n’importe où. Même dans des terres très reculées comme la Cantal ou la Bretagne, on peut écrire un livre, et l’envoyer par la Poste partout dans le monde pour un montant qui seratoujours moins cher que le café en terrasse Rue De Rivoli. On a les moyens actuellement de faire ce qu’on veut d’où on veut. Je pense que ce qui m’étonne le plus, c’est à quel point, parfois, on est mal à l’aise avec son lieu de naissance, avec son lieu d’apprentissage, comme si, pour les autres, pour le regard extérieur, comme si rester dans cet endroit, c’était aussi rester dans l’enfance, rester dans l’adolescence, refuser de passer à l’âge adulte, et dans un même mouvement,refuser la possibilité de la réussite ou la possibilité de l’échec. Moi, je crois qu’aujourd’hui, la vraie réussite, c’est de pouvoir dire : « J’ai les moyens de choisir le lieu où je me sens bien, j’ai la force d’aller où je veux et de rester où je veux. » Et très sincèrement, je ne crois pas que la réussite personnelle soit une question de lieu mais le lieu qu’on choisit, lui, est une question de réussite personnelle. Merci, merci ! (Applaudissements)